« Mémoires du bord du monde »
« Je rêvais de m’envoler, la tête appuyée sur le mur et la main droite dans le vide.
J’inventais des petits spectacles pour moi tout seul, dans ma tête transformée en énorme théâtre.
J’avais envie de voir des ours et des baleines et des forêts mais le médecin dans son horrible manteau noir et ses mauvaises poudres blanches, plus jamais.
J’avais envie de prendre toutes les fleurs du papier peint pour les jeter par-dessus bord.
Depuis je ne supporte plus que les murs blancs.
Il y avait des odeurs de marronnier en fleurs, de papier d’Arménie.
Quand le jour s’est levé pour ma douzième année, le branche de l’arbre a ouvert les volets.
J’ai fait un ange en pain, une tortue aussi je crois.
J’ai compté les fièvres et les fleurs de papier.
Les fièvres sont tombées, le papier aussi.
Je me souviens que vers l’âge de quatorze ans j’avais imaginé des villages de terre et d’écorces qui envahissaient ma tête et le jardin de ma grand-mère au Chesnay.
Je savais ce que je ne voulais pas que ma vie soit.
J’aurais pu être clown, archéologue ou musicien.
J’ai rencontré le phoque de Constantin, l’eau, le plâtre et l’Angleterre.
L’atelier de Londres était en sous-sol. Dix ans de blancheurs aquatiales avant d’être avalé par la terre de Soignes.
L’atelier de Bruxelles était en ville sous les toits.
Ce voyage de toute évidence a surpris tout le monde.
Aujourd’hui il ne semble plus surprendre personne.
Sauf moi. Voyage en Arbonie. L’atelier est à Jolymont sous les arbres. Les corps sont tombés des étoiles et les visages me sont nés au creux des mains.
Le premier visage était en mie de pain.
Que serait-il arrivé si je l’avais mangé ? »
Textes et photos tirés d’un livre édité par l’Oeuf sauvage sur J.de Villiers en 1998 et de deux autres livres édités par le Bateau Fou en 1999 et 2000.