Le Livre des Nuits

Publié le par Exuvie

 

« La nuit, qui par le cri de sa mère un soir

 de septembre s’empara de son enfance, 

s’engouffrant dans son cœur avec un goût  

de cendres, et de sel et de sang, ne le  

quitta jamais plus, traversant sa vie  

d’âge en âge, - et déclinant son nom  

au rebours de l’histoire. »

 

 

 

 

 

Mais cette nuit qui se saisit de lui, rouant pour toujours sa mémoire de frayeur et d’attente, et ce cri qui entra dans sa chair pour y prendre racines et y porter combat, venaient d’infiniment plus loin déjà.

Nuit hauturière de ses ancêtres où tous les siens s’étaient levés, génération après génération, s’étaient perdus, avaient vécu, avaient aimé, avaient lutté, s’étaient blessés, s’étaient couchés. Avaient crié. Et s’étaient tus. 

Car ce cri lui aussi montait de plus loin que la folie de sa mère. Il s’en venait du fond du temps, écho toujours resurgissant, toujours en route et en éclat, d’un cri multiple, inassignable.

Cri et nuit l’avaient arraché à l’enfance, détourné de sa filiation, frappé de solitude. Mais par là même rendu irrémédiablement solidaire de tous les siens. 

Bouches de nuit et de cri confondus, blessures ouvertes en travers des visages sous un violent sursaut d’oubli faisant soudain mémoire d’une autre nuit, d’un outre-cri, - plus ancien même que le monde.

Nuit hors-temps qui présida au surgissement du monde, et cri d’inouï silence qui ouvrit l’histoire du monde comme un grand livre de chair feuilleté par le vent et le feu.

Sylvie GERMAIN, le Livre des Nuits

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